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Comment en est-on arrivé là ?
Brève synthèse de 30 années de politiques françaises
mercredi 16 décembre 2015, par
Avec les régionales de 2015, sommes-nous arrivés à la fin du cycle politique ouvert par François Mitterrand en 1983, dit de la "parenthèse de l’austérité", ou n’avons-nous que franchi une étape de plus dans la descente aux enfers de la France ?
La faute originelle de François Mitterrand
En 1981 eut lieu la dernière alternance qui a effectivement eu des airs d’alternance. « Changer la vie ! » disait l’hymne du PS. On allait voir ce qu’on allait voir ! Et on a vu… que ça n’a pas marché. La relance keynésienne s’est fracassée sur des achats de biens importés et donc sur le déficit de notre balance commerciale, d’où triple dévaluation et moult autres difficultés. Une vraie Débâcle pour les socialistes, la gauche et la France.
Ainsi en mars 1983 François Mitterrand fut contraint de décider d’un changement de cap majeur. En peu de mots, il dû choisir entre deux types de politiques pour la France : soit recréer des conditions d’une politique d’indépendance pour notre pays (dont J.-P. Chevènement était le héraut), soit s’ancrer davantage dans l’Europe (avec J. Delors). Comme chacun le sait, il a fait le choix, du « tournant de la rigueur », de Delors, de l’Europe, du serpent monétaire, de l’austérité, qui ne devait être qu’une parenthèse (n’est-ce pas L. Jospin), parenthèse qui a consisté à livrer le monde du travail à la globalisation sauvage, qui plus de 30 ans plus tard n’est toujours pas fermée et qui est au cœur de nos tracas actuels.
Ce type de choix n’est pas rare dans l’histoire de France, bien au contraire, on pourrait même écrire l’histoire de notre pays comme la succession de telles crises. Régulièrement en effet s’opposent ceux qui veulent arrêter la France et passer à autre chose et ceux qui veulent la continuer. Et ce n’est pas parce que jusqu’à présent ces derniers se sont finalement toujours imposés que la partie était gagnée d’avance, ni qu’il en sera toujours ainsi.
Comme la France n’est pas une île, un territoire au contour géographique partout évident, une communauté "ethno-raciale", etc. c’est-à-dire une communauté de fait, ce qui la fait tenir ensemble n’est pas un élément objectif mais sa politique, sa nation continuant cette politique, son projet toujours à faire et à refaire, pour un enjeu qui en vaut la peine : être indépendant, écrire notre histoire sans dépendre de quelque empire que ce soit. Donc, la France, communauté politique toujours en devenir, dépend ex-post de sa politique à venir. Mais de ce fait, en période de crise, nombreux sont ceux qui ont dit, qui disent et qui diront encore à l’avenir : « vous êtes bien gentils, mais la France, c’était possible avant, désormais, vous le voyez bien, les choses ont changé, votre France n’est plus possible, il nous faut nous inscrire dans… » et selon les époques, ces gens qui en plus promettent toujours la paix, la prospérité et le bonheur universel, conseillaient le Saint empire romain germanique, l’Empire anglais, l’Empire espagnol ou plus récemment l’Europe, et lors de la Deuxième Guerre Mondiale : "l’Europe allemande". Eh oui, la Collaboration n’était que marginalement l’œuvre de fumiers racistes, elle fut surtout l’œuvre d’un ensemble beaucoup plus grand de pétochards, de mous du genou, de pacifistes, d’affairistes, d’impuissants, de pusillanimes, de velléitaires et d’européistes.
François Mitterrand était un de ces hommes qui devant les difficultés penchent pour la solution du "dépassement de la France", pour reprendre l’un de leurs euphémismes. En 1940, face à la Débâcle, ces gens, sérieux, raisonnables, réfléchis, conséquents, "savaient" que la France n’était plus possible, que le monde avait changé, qu’il fallait l’Europe, même si c’était une "Europe allemande" et nazie. Ainsi, comme tous ses semblables, Mitterrand a été pétainiste (décoré de la Francisque 2202), puis giraudiste. Après guerre, dès le début de la guerre froide, à nouveau il fera partie de ceux qui se sont précipités au congrès de La Haye dans les premiers jours de mai 1948, congrès qui est considéré comme l’un des actes de naissance de l’Europe d’aujourd’hui.
Eh bien en 1983, face à la deuxième Débâcle de sa vie, Mitterrand penche de ce même côté du "dépassement de la France", d’autant plus facilement que notre défaite n’était pas militaire cette fois et que notre ennemi d’hier était devenu un aimable partenaire au sein de la CEE. La formule de Mitterrand qui synthétise le mieux sa ligne politique est : « la France est notre histoire et l’Europe notre avenir ».
Arrêtons ici l’examen des faits qui conduiront à la désignation de Delors à la présidence de la Commission européenne (1985), à la signature de l’Acte unique (1986) et du Traité de Maastricht (1992), pour nous pencher sur les efforts de Mitterrand afin de redistribuer les cartes sur notre échiquier politique, ils ont eu des conséquences funestes sur la politique de notre pays car ils ont touché à ses fondations.
Déstabilisation de la nation
En choisissant l’option de l’approfondissement de l’ancrage européen de la France, la majorité s’est alors trouvée de fait alignée sur l’UDF au centre droit, ce que l’électorat du PS pouvait à juste titre considérer comme une trahison. Et face à la grogne qui montait dans la nation en raison des difficultés économiques et dans le "peuple de gauche" face à la nouvelle politique du gouvernement, si les choses en étaient restées là, le PS aurait purement et simplement disparu de l’échiquier politique aux élections suivantes.
Mitterrand, qui n’était pas homme à accepter une telle défaite pour sa personne, devait trouver une solution pour refonder le clivage politique, dit, "gauche-droite" et ainsi permettre de réorienter l’appareil critique de ses ouailles, mais aussi au PS, ainsi qu’à la gauche, de ne pas disparaître électoralement.
Comment ? La manœuvre, pour rusée n’en était moins très classique : diviser pour régner, cliver l’opinion publique en général et diviser son opposition en particulier. Pratiquement, la chose a consisté à exploiter deux phénomènes antagonistes de l’actualité d’alors : le premier était un petit parti d’extrême droite très marginal : le Front National
le second était un mouvement social et civique très intéressant : la Marche pour l’égalité et contre le racisme (plus tard rebaptisée "Marche des Beurs") [1]
Le FN n’est en effet pas apparu à la une de l’actualité tout seul, par ses propres moyens. Ce fait devrait être archi-connu de tous, mais la quasi-totalité des citoyens en ignorent tout : c’est à une véritable mise en orbite médiatique à laquelle le pouvoir de l’époque a procédé, sans quoi ce parti microscopique, qui n’avait pas réussi à réunir les 500 signatures pour la présidentielle 2 ans plus tôt n’aurait jamais joué les premiers rôles depuis. Par l’entremise de George Fillioud notamment (ministre puis secrétaire d’Etat à la communication), les médias ont été poussés à parler du FN, puis François-Henri de Virieu a été amené de recevoir Jean-Marie Le Pen dans la grande émission politique de l’époque « L’heure de vérité » (13 février 1984). Lors de son premier passage dans cette émission, Le Pen portait encore son œillère de pirate qui avait contribué à amplifier le coup de tonnerre que fut l’apparition de cet énergumène à ce niveau de notre scène politique. Ainsi a commencé la cristallisation des mécontentements autour du FN dans le but de prendre des voix à la droite sur sa droite et de pouvoir faire à la droite parlementaire des procès d’intention à chaque fois que ce serait utile.
Car le deuxième élément de la manœuvre en tenaille de l’Élysée a consisté à créer et propulser l’anti-racisme sur la scène médiatique. Pour cela, les mêmes n’ont pas hésité à cannibaliser la "marche des Beurs" en mettant SOS racisme en orbite à grands coups de com’. Contre ceux qui parlaient civisme on a fait monter le slogan "touche pas à mon pote", la petite main jaune, le droit à la différence, les concerts et le battage médiatique.
Ainsi s’est mis en place, grâce au complaisant cinéma du bateleur Le Pen, le jeu malsain entre le "discours du mal" qui a habilement emporté, la France, ses symboles, son histoire, son patriotisme, sa nation, sa république, son civisme et sa politique d’indépendance — c’est-à-dire nos moyens d’exister et de résister —, aux "discours du bien", ses lendemains qui chantent l’Europe, l’ouverture, des esprits et des frontières, pour que puissent circuler librement les hommes, les marchandises et les capitaux, discours qui chante aussi les potes, la culture jeune et citoyenne, la merveilleuse société nouvelle que tous ces changements étaient censés annoncer.
A partir de là le pouvoir mitterrandien disposait de 3 ficelles qu’il pouvait tirer au gré de ses besoins et des circonstances offertes par l’actualité pour déplacer le centre de gravité de notre débat public : l’Europe, le FN et SOS racisme, soit : la porte de notre avenir par laquelle il nous fallait à tout prix accepter de passer, l’épouvantail qui servait à rabattre le chaland et à neutraliser les récalcitrants, enfin l’agit-prop qui servait à façonner les nouvelles catégories positives qui devraient imprégner le peuple et remplacer les précédentes.
Quant à l’opposition de droite, dans le cours des batailles politiques de l’époque, pour une part elle a forcément été contrariée par la "l’opération FN" — qu’elle n’imaginait pas pouvoir durer aussi longtemps —, pour une autre part elle a été satisfaite de voir la gauche emboîter le pas de la révolution libérale thatchero-reaganienne (lois Bérégovoy) et renforcer la construction de l’Europe, grâce à laquelle il était plus facile de tordre le bras des citoyens pour leur imposer les "nécessaires" politiques du « tournant de la rigueur ».
C’est ainsi que notre débat public a évolué, que le PS a survécu à sa trahison des travailleurs et que la politique de la France s’est transformée en profondeur. C’est ainsi qu’est née la "pensée unique". C’est par cette manœuvre "Europe-FN-instrumentalisation du racisme" que nous sommes entrés politiquement désarmés dans la globalisation, la désindustrialisation, la financiarisation de l’économie et leurs conséquences, le chômage de masse et la précarité. « Vous n’êtes quand même pas contre l’Europe !? Vous n’êtes pas un nationaliste !? Un lepéniste !? »
Le piège a parfaitement fonctionné, l’histrion, le complice, se faisant passer pour un opposant, s’est révélé opportuniste, après ses premières sorties anti-immigrés, il a duré en récupérant d’autres sujets préoccupant les citoyens et les a tous salis grâce à ses récurrents "dérapages". Privé de langage et de repères, aucun discours républicain audible par le plus grand nombre de nos concitoyens n’y a résisté, ceux qui ne se soumettaient pas à la nouvelle doxa, sur l’Europe, l’Euro, l’ouverture de nos frontières… et à plus forte raison sur l’immigration, étaient impitoyablement discrédités, disqualifiés d’emblée sans autre argument qu’être supposés tenir un discours "lepenisé", rance, de repli sur soi, rappelant-les-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire.
< à suivre… >